Critique publiée dans Zibeline (mars 2022)
C’est dans un silence méditatif et recueilli que s’est écoulé le très beau concert de ce dimanche 6 mars. Impressionné, comme sonné par l’incandescence des Litanies à la vierge noire de Poulenc, l’auditoire n’osera applaudir qu’en toute fin de concert. Il faut dire que ces litanies païennes impressionnent, par leurs changements constants de couleurs, par le flou de sa pulsation et par ses difficultés techniques. La maîtrise des Bouches-du-Rhône, composée pourtant exclusivement de collégiens, s’attaque sans ciller aux intervalles ténus et aux rythmes mouvants de cette pièce assez redoutable. L’enchaînement sans temps mort, sans relâchement de la suite du concert ne fera que souligner la cohérence du programme pensé par Samuel Coquard. Sa pièce maîtresse demeurant l’inusable Requiem de Gabriel Fauré, interprété ici dans sa version d’église : l’orgue tumultueux d’Emmanuel Arakélian, qui dialoguait diligemment avec la Maîtrise des Bouches-du-Rhône sur Poulenc, se mue alors en orchestre symphonique, pleins jeux et pédale crescendo à l’appui. Ce recours à l’instrument multiforme par excellence, de même que le choix d’un chœur pour enfants en lieu du chœur féminin qu’on lui préfère souvent, demeurent assez rares pour être appréciés. Ils font gagner en intimité à ce Requiem pensé loin de toute monumentalité romantique. Le « Pie Jesu » entonné par le tout jeune Lenny Bardet d’une chaire à prêcher, fait partie des nombreux grands moments de ce concert. L’Église se révèlera tout du long idéale pour unir sans les dénaturer les déjà grandes voix de la maîtrise à celles du Chœur d’hommes Asmarã ou au soliste Jeong-Hyun Han. Intercalées autour de l’opus injustement méconnu de Poulenc et de ce très réussi Requiem, de plus petites œuvres rappelleront la parenté esthétique de ces deux grands compositeurs français mais aussi l’ascendance plus classique de celle de Camille Saint-Saëns sur leurs développements. Son Ave Maria, marches harmoniques ultra-tonales et déliement gracieux d’accords à l’appui, est ainsi assez proche du Cantique de Jean Racine de Gabriel Fauré : les deux compositeurs, organistes à la Madeleine et amis de longue date, sollicitaient en effet l’instrument sur des accents similaires. Le « Tollite Hostias » extrait de l’Oratorio de Noël conclut le programme sur une ferveur héroïque dont se revendiquait volontiers Saint-Saëns, et qui provoque chez les jeunes chanteurs une belle échappée de fougue et d’enthousiasme.
SUZANNE CANESSA Mars 2022
Ce concert a été joué le 6 mars à l’Église de Château-Gombert, Marseille
Photo : © Aliahadjem
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